Les Irakiens ont infligé samedi un véritable désaveu à leur classe politique qu'ils jugent corrompue, en boudant les premières législatives organisées depuis la victoire sur le groupe Etat islamique (EI).
Pour ce scrutin qui doit permettre de décider si le Premier ministre Haider al-Abadi, parvenu en 2014 à son poste en vertu d'un accord tacite entre les Etats-Unis et l'Iran, restera aux manettes, seuls 44,52% des 25,5 millions d'inscrits se sont rendus aux urnes.
Ces élections interviennent sur fond de tensions régionales aiguës, Washington et Téhéran étant à nouveau à couteaux tirés après la décision du président américain Donald Trump de se retirer de l'accord nucléaire avec la République islamique.
Ce vote, clos sans incidents majeurs, devait aboutir à la désignation des 329 députés qui auront la charge notamment de veiller à la bonne utilisation des 30 milliards de dollars d'engagements internationaux pour la reconstruction de l'Irak, mais la population craint que cet argent ne finisse dans les poches des responsables politiques.
La participation n'a été importante que dans la région autonome du Kurdistan et dans celle de Mossoul, l'ancienne "capitale" de l'EI dans le nord.
Les premiers résultats devraient être connus dans les deux jours.
Si plus d'un électeur sur deux n'a pas daigné aller voter, beaucoup de ceux qui se sont rendus dans les bureaux de vote ont affiché leur désir de changement pour remettre sur pied un pays en lambeaux après trois ans de guerre contre l'EI.
Quelle que soit leur confession ou leur province, nombre d'Irakiens affirmaient voter pour chasser les "requins de la corruption", car la principale tâche du nouveau Parlement sera de superviser la reconstruction de l'Irak.
"J'ai voté pour un candidat qui ne s'est jamais présenté, j'espère que ces nouveaux répondront aux souhaits des Irakiens qui souffrent de la corruption depuis 15 ans", explique Mohammed Jaafar, 80 ans, dans la province de Diwaniyah, au sud de Bagdad.
A Mossoul, Omar Abed Mohammed, un chômeur de 32 ans, a également voté "pour changer les visages de ceux qui ont conduit à la destruction du pays".
A Qaraqosh, une ville chrétienne proche de Mossoul, les électeurs veulent la "stabilité" pour "faire cesser l'exode" des chrétiens dans une cité où seule une petite partie des 50.000 habitants est revenue après trois années d'occupation jihadiste.
A Bagdad, Sami Wadi, un retraité de 74 ans, a dit voter "pour sauver le pays du confessionnalisme et de la corruption".
Si la plupart des dirigeants politiques ont voté dans la "zone verte", un secteur ultra-protégé de la capitale où ils résident, le Premier ministre s'est fait un point d'honneur de déposer son bulletin à Karrada, son quartier.
Pour la première fois, les partis chiites se présentent en rangs dispersés en raison d'une lutte pour le pouvoir entre les hommes forts de cette communauté, majoritaire.
Face à M. Abadi, son prédécesseur Nouri al-Maliki, qui n'a pas digéré d'avoir été écarté en 2014, et Hadi al-Ameri, un proche de l'Iran qui a même combattu sous son drapeau dans la guerre avec l'Irak (1980-1988), sont sur les rangs.
Ce dernier est à la tête d'une liste regroupant les anciens du Hachd al-Chaabi, ces supplétifs cruciaux pour chasser l'EI.
Figurent aussi les listes des représentants de deux lignées de hauts dignitaires religieux : celle d'Ammar al-Hakim et celle du leader populiste Moqtada Sadr, qui a conclu une alliance inédite avec les communistes.
La parcellisation des chiites ne devrait toutefois pas changer l'équilibre des forces entre communautés, dans un système calibré pour qu'aucune formation ne soit en position dominante afin d'éviter le retour à la dictature.
C'est au moment de la formation du gouvernement que l'Iran, avec les forces qui lui sont acquises, et les Etats-Unis, qui ont joué un rôle déterminant dans la lutte contre l'EI, devraient manoeuvrer pour empêcher que l'Irak ne tombe dans le camp de l'autre.
Dès samedi, le secrétaire d'Etat américain Mike Pompeo a plaidé pour un "gouvernement de rassemblement" avec lequel son pays est "prêt à coopérer (...) en continuant à bâtir une relation à long terme de coopération et d'amitié".
Autre nouveauté : les Kurdes risquent de perdre au moins dix sièges sur les 62 de la législature précédente et leur statut de faiseurs de rois.
En rétorsion au référendum d'indépendance de septembre, Bagdad leur a repris les zones disputées dont la province pétrolière de Kirkouk.
Les dirigeants kurdes ont ainsi appelé à l'unité, sans laquelle "nous n'aboutirons à rien", a prévenu le Premier ministre du Kurdistan Netchirvan Barzani.
Enfin, la minorité sunnite, qui a dominé l'Irak jusqu'à la chute de Saddam Hussein il y a 15 ans, devrait rester marginalisée.
Contrairement aux trois scrutins organisés depuis l'invasion américaine en 2003, cette campagne électorale n'a pas été accompagnée de violences malgré les menaces des jihadistes, très affaiblis.
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