La Cour suprême de Bahreïn a confirmé lundi en appel la peine de prison à perpétuité infligée au chef de l'opposition chiite, cheikh Ali Salmane, ainsi que celle prononcée contre deux de ses collaborateurs, pour "intelligence avec le Qatar", selon une source judiciaire.
Il s'agissait du dernier recours de cheikh Salmane, qui est déjà emprisonné.
A la tête du mouvement Al-Wefaq, cheikh Salmane, 53 ans, avait été condamné le 4 novembre pour "intelligence avec le Qatar (...) dans le but de renverser l'ordre constitutionnel du pays" et "actes d'hostilité envers le royaume de Bahreïn".
Ce jugement avait aussitôt été dénoncé comme politique par des organisations de défense des droits humains, Amnesty le qualifiant de "parodie de justice".
Un groupe d'opposition, The Bahrain Institute for Rights and Democracy (Bird), a fermement condamné le verdict de lundi, aboutissement d'un processus "biaisé" selon lui.
"C'est une vengeance politique et une insulte à la justice", a affirmé son directeur Sayed Ahmed Alwadaei dans un communiqué, ajoutant que cette décision faisait "honte aux dirigeants de Bahreïn et à leurs alliés, les Etats-Unis et le Royaume-Uni".
La réaction des Etats-Unis a été prudente. Le verdict "rétrécit l'espace pour la libre expression et l'activité politique, qui est historiquement protégé dans le système constitutionnel de Bahrein", a déclaré sur Twitter Robert Palladino, porte-parole adjoint du département d'Etat américain.
"Le verdict prononcé aujourd'hui marque un nouveau pas contre les voix dissidentes", a déploré l'Union européenne dans un communiqué. Bruxelles a rappelé avoir à plusieurs reprises exprimé "son inquiétude concernant la limitation croissante de la liberté d'expression à Bahreïn".
L'Iran chiite a également "dénoncé" ce jugement en appel.
"Nous n'interférons pas dans les affaires interne de Bahreïn, mais nous avons averti les autorités bahreïnies qu'afin d'assurer leur pouvoir, elles devaient reconnaître les droits de tous leurs citoyens et non pas pratiquer une politique du deux poids, deux mesures", a déclaré à l'AFP le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères, Bahram Ghassemi.
Résidant hors de Bahreïn, deux collaborateurs de cheikh Salmane, Hassan Sultan et Ali al-Aswad, avaient été condamnés à la même peine par contumace. Ils étaient également poursuivis pour "intelligence" avec le Qatar, pays du Golfe boycotté par Manama et d'autres alliés de l'Arabie saoudite.
L'inculpation de cheikh Salmane était intervenue après l'embargo décrété en juin 2017 contre Doha par l'Arabie saoudite, Bahreïn, les Emirats arabes unis et l'Egypte.
Ces pays ont accusé le Qatar de soutenir des mouvements islamistes radicaux, ce que Doha a démenti, et de se rapprocher de l'Iran chiite. Le Qatar a accusé en retour ses adversaires de chercher à mettre sa politique étrangère sous tutelle.
Lors de son inculpation, cheikh Salmane purgeait déjà une peine de quatre ans de prison pour "incitation à la haine confessionnelle", dans un pays à majorité chiite dirigé par une monarchie sunnite.
Lors de ce deuxième procès, les accusations contre lui étaient fondées, selon Manama, sur une conversation téléphonique datant de 2011 entre l'opposant chiite bahreïni et l'ancien Premier ministre du Qatar, cheikh Hamad ben Jassem Al-Thani.
Doha a récusé tout lien avec cheikh Salmane, dont la condamnation à la perpétuité en première instance est intervenue 20 jours avant la tenue de législatives à Bahreïn, le 24 novembre.
Le scrutin s'est déroulé en l'absence d'Al-Wefaq, dissous sur ordre des autorités qui ont également interdit l'Action nationale démocratique (Waad), un mouvement d'opposition libéral.
Dans un communiqué, Al-Wefaq, qui reste actif à l'étranger, a vu dans le verdict de lundi un "acte de vengeance politique", ajoutant que le "mouvement de protestation pacifique se poursuivra". Selon lui, "la grande majorité du peuple bahreïni souhaite un passage d'un régime tyrannique à une démocratie modérée".
Le petit royaume du Bahreïn a été secoué par des troubles à partir de 2011, lorsque les forces de sécurité ont réprimé un grand mouvement de protestation de la majorité chiite qui réclamait des réformes démocratiques.
Les autorités de Bahreïn, siège de la Ve Flotte des Etats-Unis, ont accusé l'Iran d'être responsable des troubles, ce que Téhéran a démenti.
Depuis 2011, les procès d'opposants se sont multipliés à Bahreïn. Des centaines de dissidents sont actuellement emprisonnés, jugés ou déchus de leur nationalité.
Le royaume a également approuvé en 2017 un amendement constitutionnel donnant à la justice militaire la possibilité de juger des civils accusés de "terrorisme".
Pour Amnesty, le verdict définitif prononcé lundi contre cheikh Salmane, "à l'issue d'un procès inéquitable, souligne la détermination des autorités à faire taire toute voix critique".
"Les autorités doivent annuler la condamnation et libérer immédiatement et sans condition cheikh Salmane. Elles doivent aussi annuler la décision de dissoudre les deux groupes d'opposition, al-Wefaq et Waad", a ajouté l'ONG.
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