Guerre, coronavirus, principal opposant enlevé… Le contexte est aussi sombre avant le second tour des législatives au Mali dimanche qu’il l’était avant le premier, mais le gouvernement a choisi de maintenir le scrutin.
« En démocratie, rien ne vaut la pleine légalité constitutionnelle ainsi que le jeu normal des institutions », a déclaré le président Ibrahim Boubacar Keïta il y a quelques jours, s’adressant à la nation un masque protecteur sur le visage.
Il y va de la nécessité d’apporter des réponses autres que strictement militaires à la profonde crise sécuritaire, politique ou économique que traverse le pays depuis des années, a justifié le chef d’Etat.
Malgré l’adversité, la majorité de la classe politique soutient le maintien de ce scrutin reporté à plusieurs reprises.
L’enjeu est de taille: renouveler un parlement élu en 2013 et dont le mandat devait s’achever en 2018, et faire enfin progresser l’application de l’accord de paix d’Alger.
Celui-ci, signé en 2015 entre les groupes armés indépendantistes et Bamako, prévoit plus de décentralisation via une réforme constitutionnelle qui doit passer par l’Assemblée. Or la légimité du parlement sortant est contestée.
Mais comment motiver des Maliens qui remettent en cause la capacité de leurs dirigeants à sortir le pays de la guerre et de la pauvreté ?
D’abord concentrée dans le nord du pays en proie à des rebellions indépendantistes, la crise a dégénéré avec l’arrivée sur l’échiquier sahélien de groupes jihadistes à partir de 2012.
La violence frappe quotidiennement le centre et le nord du Mali et les voisins burkinabé et nigérien. Les attaques contre les soldats et les civils alternent avec les explosions de mines artisanales, les morts se comptent par milliers et les déplacés par centaines de milliers. Vingt-cinq militaires, selon le gouvernement, ont été tués entre les deux tours dans une opération revendiquée par un groupe affilié à al-Qaïda.
« Dans le centre et dans le nord, est-ce que les populations pourront voter librement ? Dans le centre, les groupes terroristes sont en train de menacer les populations » pour les dissuader de voter, affirme Ibrahima Sangho, chef de mission de la Synergie, plateforme d’organisations qui déploient des observateurs lors d’élections.
Le premier tour du 29 mars a été marqué par des enlèvements de présidents de bureau et le vol et la destruction d’urnes. Dans les zones rurales de Tombouctou, les jihadistes ont conduit de nombreux raids d’intimidation à moto. « Ne votez pas ou vous aurez affaire à nous », disaient-ils en substance aux habitants, selon un rapport interne de l’ONU consulté par l’AFP.
Un millier de bureaux environ, sur plus de 22.000, n’ont pas ouvert, a admis le ministre de l’Administration territoriale Boubacar Alpha Bah, selon des propos rapportés par la télévision publique.
Dans certaines régions du nord, le large taux de participation (plus de 85% à Kidal pour une moyenne nationale de 35,6%, avec des députés élus avec 91% ou 97% des suffrages) laisse envisager « une possibilité de fraude », dit un diplomate sahélien.
Dans la capitale, la participation a été de 12,9%. Ces faibles taux de participation sont dans la norme malienne, rappelle M. Sangho, l’observateur.
Sur les 147 sièges de députés, 22 ont été pourvus au premier tour.
Parmi eux: Soumaïla Cissé, le chef de file de l’opposition kidnappé le 25 mars alors qu’il était en campagne. A défaut de preuve formelle, tous les soupçons pèsent sur le groupe jihadiste d’Amadou Koufa. Des négociations secrètes sont menées pour sa libération, selon son parti.
« Soumaïla Cissé est un gros poisson qui pourra être échangé contre d’autres gros poissons emprisonnés », pense Bréma Ely Dicko, sociologue à l’Université de Bamako.
Ce rapt sans précédent n’avait pas dissuadé les autorités de s’en tenir au calendrier électoral, pas plus que l’officialisation, fortuitement simultanée, des premiers cas de contamination par le nouveau coronavirus. La campagne, déjà discrète, a dès lors disparu des débats, en dehors des affiches qui résistent à Bamako.
Le Mali a officiellement déclaré 171 patients et 13 décès. Ici comme ailleurs, l’inquiétude est grande quant à la capacité de faire face à une prolifération. Un couvre-feu nocturne a été institué, les écoles ont été fermées, des restrictions imposées aux activités.
Mais dans la capitale d’un des pays les plus pauvres de la planète dont une grande part de la population vit au jour le jour, les marchés, les mosquées, les transports en commun n’ont pas désempli.
« Ce n’est pas partout que les mesures contre le Covid-19 ont été appliquées » au premier tour, rapporte M. Sangho.
Le président malien a pris l’engagement que « toutes les mesures sanitaires et sécuritaires requises (seront) rigoureusement appliquées » dimanche.
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