Daniel arap Moi, décédé mardi à l’âge de 95 ans, avait promis « paix, amour et unité » à son peuple. Mais le deuxième président du Kenya indépendant, pourfendeur du multipartisme, restera surtout comme un redoutable politicien, maître de l’instrumentalisation des rivalités ethniques.
Quand Moi quitte le pouvoir en 2002, après 24 ans de règne, il est crédité d’avoir su maintenir le Kenya au petit nombre des Etats d’Afrique de l’Est en paix. Génocide au Rwanda, guerres civile au Burundi, chaos en Somalie… la décennie qui vient de s’écouler a infligé son lot de conflits à la région.
Mais ses mandats restent également synonymes de musellement de la dissidence, détentions arbitraires, torture, corruption. Comme personne avant lui, il est également accusé d’avoir attisé les différends ethniques dans son pays à des fins politiques.
Né le 2 septembre 1924 dans une famille pauvre du district de Baringo, à quelque 300 km au nord de Nairobi, Daniel arap Moi est membre des Tugen, sous-groupe d’un groupe ethnique à l’identité alors peu affirmée, disent des analystes, mais dont il se fera le représentant naturel et qui finira par devenir l’une des plus soudée électoralement: les Kalenjin.
Après une éducation chrétienne, Moi devient instituteur avant d’entrer en politique en 1955. Il rejoint le Conseil législatif mis en place par le colonisateur britannique et participe aux pourparlers sur l’indépendance, proclamée en 1963.
Dans le gouvernement du père de l’indépendance, Jomo Kenyatta, Moi occupe plusieurs portefeuilles avant d’être nommé vice-président en 1967. Jusqu’à la mort de Kenyatta en 1978, il reste dans son ombre, mais parvient à écarter ses adversaires pour la succession.
Débute alors un long règne, vite marqué par le durcissement d’une répression que maniait déjà Kenyatta: un système de parti unique est instauré en 1982, juste avant un coup d’Etat manqué. Les défenseurs des droits de l’Homme dénoncent détentions sans procès et cas de torture par centaines.
« Pour la première fois, des citoyens ordinaires se sont retrouvés la cible de la répression d’Etat, la torture, l’emprisonnement sont devenus un élément de la relation entre le pouvoir et ses sujets », décrit le chercheur Daniel Branch dans un livre sur le Kenya post-colonial.
Dans le collimateur du régime aussi: les élites culturelles, des militants des droits de l’Homme, des défenseurs de l’Environnement, comme l’écrivain Ngugi wa Thiong’o ou la future prix Nobel de la Paix Wangari Maathai. Des manifestations sont étouffées dans les universités.
Les Kenyans subissent aussi le chômage et l’inflation, dans une économie gangrenée par la corruption: Moi parti du pouvoir, son régime sera accusé de détournements de fonds massifs, via un système de fausses exportations – l’affaire « Goldenberg » pour laquelle il ne sera jamais vraiment inquiété.
Au début des années 90, contraint de céder à la pression du clergé et de l’opposition, Moi rétablit le multipartisme, qui, prédit-il, amènera le chaos.
Ses détracteurs l’accusent d’avoir alors instrumentalisé des rancœurs ethniques alimentées depuis des années par la mainmise de l’ethnie kikuyu de Kenyatta sur le pouvoir, l’économie et les terres. Domination qu’il a rééquilibrée au profit des Kalenjin.
Moi « a instauré une utilisation de la violence ethnique ciblée comme outil de gestion politique, » explique John Githongo, militant anti-corruption kényan.
Moi, contraint par la Constitution, quitte le pouvoir en 2002. Une fois parti, l’ex-autocrate, qui selon Ngugi wa Thiong’o avait fini par incarner cette phrase attribuée à Louis XIV « L’Etat, c’est Moi », demandera « pardon » pour les fautes commises sous son régime.
Celui dont une multitude d’écoles au Kenya portent encore le nom, sera alors mandaté par son pays comme émissaire pour la paix dans la Corne de l’Afrique et les Grands Lacs.
Il sera consulté pour ramener l’ordre dans son pays lors des émeutes post-électorales de fin 2007 et début 2008, mais s’opposera jusqu’au bout à une nouvelle Constitution qui introduit notamment une meilleure répartition des richesses via la décentralisation.
Aisément reconnaissable à sa haute stature et ses yeux bleus, l’ex-président fut reconnu coupable en mai 2019 d’accaparement illégal de terres en 1983.
Divorcé, jamais remarié, Moi a eu huit enfants, dont une fille adoptive.
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