La justice zimbabwéenne a validé le coup de force de l'armée qui a abouti à la démission du président Robert Mugabe, une décision qui sème déjà le doute sur la "nouvelle démocratie" promise par son successeur, Emmerson Mnangagwa.
Dans un jugement rendu public samedi par les médias d'Etat, un tribunal d'Harare a estimé "constitutionnelle" l'intervention des militaires destinée, selon lui, "à empêcher les proches de l'ancien président Robert Mugabe d'usurper le pouvoir".
Sans les nommer, ce jugement fait référence à l'ex-première dame du pays, Grace Mugabe, et à son entourage, à l'origine de la crise qui a provoqué la chute de son époux.
Les militaires avaient pris le contrôle du pays dans la nuit du 14 au 15 novembre pour s'opposer à l'éviction du vice-président d'alors Emmerson Mnangagwa, qui barrait la route à Grace Mugabe pour la succession de son mari.
Un porte-parole de l'armée avait alors assuré ne pas mener un coup d'Etat mais vouloir simplement éliminer des "criminels" de l'entourage de l'ex-chef de l'Etat.
La démission mardi du plus vieux dirigeant en exercice de la planète, 93 ans, après trente-sept ans de règne a été saluée par des manifestations de liesse à travers tout le pays.
Mais certains, dans l'opposition comme à l'étranger, ont émis des doutes sur l'aptitude du nouveau chef de l'Etat, longtemps aux commandes de l'appareil répressif de Robert Mugabe, à rompre avec les habitudes de l'ancien régime.
Le jugement du tribunal d'Harare n'a pas dissipé leurs inquiétudes.
"La justice a soutenu l'interprétation de l'armée selon laquelle il est autorisé et légal d'intervenir dans les affaires politiques", a estimé samedi Alex Magaisa, expert zimbabwéen en droit. "C'est un dangereux précédent qui met le gouvernement sous la coupe des militaires", a-t-il écrit sur le site Big Saturday Read.
"Justice étrange, sous contrôle ?", a tweeté le responsable régional de l'ONG Human Rights Watch (HRW), Dewa Mavhinga.
La comparution samedi des premières personnalités proches de Grace Mugabe arrêtées par l'armée n'a pas non plus levé les soupçons de justice sous influence.
L'ex-ministre des Finances, Ignatius Chombo, a été présenté à un tribunal pour des faits de corruption, d'abus de pouvoir et de fraude datant de la période 2004-2009.
Devant le juge, il a raconté avoir été interrogé pendant huit jours par des inconnus qu'il présume être des militaires, avant d'avoir été officiellement remis à la police.
"Tous les jours c'était plus ou moins la même chose. Un interrogatoire par une ou deux personnes que je ne pouvais voir", a raconté M. Chombo. "L'un m'a dit que je n'avais pas bien géré mes ministères. Un autre que je n'avais pas bien dirigé le parti".
Le juge a renvoyé à lundi sa décision sur l'incarcération ou non de l'ex-ministre. D'ici là, il restera en détention dans un hôpital pour des soins dont la nature n'a pas été précisée.
Avant lui, l'ancien chef de la Ligue des jeunes du parti au pouvoir, la Zanu-PF, Kudzai Chipanga, a comparu pour avoir "publié des déclarations qui portent préjudice" à l'Etat ou à l'armée. Il a affirmé à la barre avoir été battu en détention.
Le juge l'a placé en détention jusqu'à son procès.
Emmerson Mnangagwa, 75 ans, a été officiellement investi vendredi devant plusieurs dizaines de milliers de partisans enthousiastes, réunis dans un stade de la capitale.
Dans son discours d'investiture, il a promis de redresser l'économie, de lutter contre la corruption et que les élections prévues en 2018 seraient "libres et honnêtes".
De retour d'exil deux jours plus tôt, il avait salué le "début d'une nouvelle démocratie" dans son pays.
Fidèle parmi les fidèles du régime, M. Mnangagwa, proche de la hiérarchie sécuritaire et plusieurs fois ministre, traîne toutefois derrière lui une réputation d'exécuteur des basses oeuvres répressives de l'ex-président Mugabe.
Selon Amnesty International, des dizaines de milliers de personnes ont été torturées, ont disparu ou ont été tuées pendant les presque quatre décennies de l'ère Mugabe.
"La question que se posent les Zimbabwéens, c'est de savoir si Mnangagwa va continuer à recourir aux sales coups de Mugabe, ou saisir l'occasion qui s'ouvre à lui pour s'imposer comme un dirigeant sincèrement apprécié", a résumé l'analyste Charles Laurie, de l'institut Maplecroft Risks.
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