Le groupe des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) et l’Union européenne ont entamé de longues négociations pour établir un nouveau partenariat en 2020 pour une période de 20 ans.
Le cycle de négociations entre la commission de l’Union européenne et les 79 pays du groupe des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) sur l’avenir de l’Accord de Cotonou a été ouvert à New York en marge de l’Assemblée générale des Nations Unies.
Les discussions sérieuses sur ce partenariat politique, économique et sécuritaire mais aussi migratoire reprendront à Bruxelles, le 18 octobre, afin d’être conclues avant l’été 2019.
Le négociateur en chef de l’UE est Neven Mimica, commissaire chargé de la Coopération internationale et du développement.
Celui pour les ACP, Robert Dussey, ministre des Affaires étrangères et de la coopération du Togo, s’est confié au quotidien français L'Opinion.
Les négociations en vue de la signature d’un nouvel accord de partenariat ACP-UE ont commencé début octobre. Comment vont-elles se dérouler ?
Ces négociations, vous l’avez dit, conduiront à terme au renouvellement de l’accord de partenariat ACP-UE. L’objectif étant de les finir avant l’été 2019, elles doivent être menées à un rythme soutenu et dans un sens élevé de responsabilité. Logiquement la première phase des négociations permettra aux deux parties, c’est-à-dire à la partie européenne et au Groupe ACP, d’accorder leurs violons sur la structure du futur accord et surtout sur le format de l’organisation et la tenue des différentes séquences des négociations.
La deuxième phase des négociations portera sur le socle commun de l’accord envisagé, précisément sur les questions et sujets à y inscrire. Elle permettra aux parties de s’entendre sur les principes directeurs, les objectifs généraux et les priorités générales de leur partenariat. La troisième phase des négociations aura pour objet les trois piliers ou partenariats régionaux à savoir le pilier Afrique, le pilier Caraïbes et le pilier Pacifique. La dernière phase des négociations sera celle de la consolidation de tous les acquis du processus, du réexamen de toute question ou sujet en suspens et de la conclusion des négociations. Comme vous l’aurez constatez vous-même le processus s’annonce un peu long mais nous y arriverons.
Au regard de la géographie et des disparités, est-ce que cela a encore un sens de négocier au nom du bloc ACP ?
Nous nous sommes posé la même question et elle a fait l’objet de débat au sein du bloc ACP. Au finish, nous avons décidé de rester ensemble pour négocier le nouvel accord dans une démarche unitaire. Cette volonté et décision de demeurer ensemble au niveau du Groupe ACP tient cependant compte, et il s’agit là d’une évolution positive, de la géographie et des disparités dont vous parlez dans la mesure où elle laisse une certaine autonomie à chaque zone géographique des ACP, à savoir l’Afrique, les Caraïbes et le Pacifique, dans la négociation des trois partenaires régionaux spécifiques de l’accord. La structure même de l’accord envisagé constitue une réponse à cette préoccupation. Mieux, l’un des enjeux du futur accord, c’est d’arriver à un accord de partenariat ACP-UE qui tient vraiment compte des réalités et des priorités stratégiques de chacune des trois sphères géographiques du Groupe ACP.
Quel bilan faites-vous de l’Accord de Cotonou ?
L’accord de Cotonou qui a relayé les Conventions de Lomé dans l’histoire du partenariat ACP-UE est globalement positif en matière d’aide au développement. Cependant, il n’a pas tenu ses promesses sur le plan des échanges commerciaux, des investissements et du progrès économique. Le commerce bilatéral entre les ACP et l’UE est aujourd’hui largement déséquilibré au profit de l’Europe. Cette vérité de fait, on n’a pas besoin d’être un économiste ni sortir de l’Université de Harvard pour le savoir. Mieux, les deux parties ont conscience de cette vérité.
Quelles évolutions voulez-vous voir prises en compte dans le prochain accord ?
Le prochain accord devra remédier à ce déséquilibre. Nous le voulons plus juste, équitable et responsable. Il devra aussi réellement prendre en compte le droit légitime des peuples ACP au développement, la réalisation des Objectifs du développement durable, l’Accord de Paris sur les changements climatiques et l’Agenda 2 063 de l’Union Africaine. Les pays africains déplorent les conditionnalités imposées par l’UE et veulent purement et simplement la suppression de l’article 8 de l’accord de Cotonou qui donne la possibilité à la Commission de l’UE de leur imposer des sanctions en cas de problème de gouvernance. Les ACP, en particulier l’Afrique veut avoir un partenariat totalement décomplexé avec l’Europe et estiment que cet article n’aura plus à place dans le futur accord. Les ACP souhaitent aborder les questions politiques, relatives aux droits l’homme et aux libertés publiques dans le seul espace de concertation réservé aux dirigeants politiques et j’espère que les négociations permettront aux deux parties de se mettre d’accord sur la meilleure formule. Le monde a évolué. Un partenariat sans paternalisme ne peut qu’être à l’avantage des deux parties. Tenir compte de cette réalité dans les négociations est important.
Craignez-vous une baisse des aides européennes avec le Brexit quand on sait que la Grande-Bretagne finance le Fonds européen de développement à hauteur de 17 % ?
La question d’aide au développement est une question très délicate et vous devez savoir que les ACP sont très bien conscients aujourd’hui que l’aide au développement n’est pas une panacée. L’aide au développement est bon, mais plus d’investissement européen dans les pays ACP et de justice dans les échanges commerciaux serait meilleur. Les ACP ont besoin plus d’investissement européen et de justice commerciale que d’aide. Pour revenir à votre question, il faut d’emblée dire que nous n’avons rien à craindre. Mieux, nous ne connaissons pas encore l’issue du Brexit. Au moment venu le Groupe ACP prendra acte de l’issue du Brexit quelle qu’elle soit. La possibilité d’un partenariat spécial entre les ACP et la Grande-Bretagne n’est pas à mon sens exclue, mais tout ceci doit être décidé et discuté au sein du Groupe ACPqui veut se positionner aujourd’hui comme une véritable institution de service aux peuples ACP.
Les Accords de partenariat économique (APE, entre l’UE et les blocs régionaux) ont-ils une chance d’aboutir alors que les 54 pays de l’Union africaine projettent de mettre en place une grande zone de libre-échange continentale ?
Les APE risquent d’être dépassés par la Zone de libre-échange continentale (Zlec). Quand cette zone se mettra en place, les APE disparaîtront d’eux-mêmes. Nous devrons renégocier un accord de partenariat économique pour toute l’Afrique sur la base d’une discussion franche. Cela devrait prendre du temps.
Que deviennent les pays d’Afrique du nord qui ne font pas partie des ACP dans ce dispositif ?
Les pays du Maghreb ne sont pas concernés par le partenariat ACP-UE et ont leur propre dispositif de coopération avec l’Union européenne. Mais ces pays ont vocation à intégrer la Zlec. Nous allons devoir trouver une solution. L’objectif, c’est d’arriver, lorsque la Zlec sera effective, à un partenariat unique entre l’Europe et l’Afrique. Dans les années à venir, il n’est pas exclue que cela devienne une réalité. En tout cas, je suis optimiste et le temps nous en dira plus.
L’Europe compte beaucoup sur l’Afrique pour enrayer la crise migratoire. Quelles sont vos propositions ?
La question de la migration africaine vers l’Europe est avant tout une question africaine parce ce sont les jeunes africains qui meurent en mers et/ou précarisent leurs vies. Nous allons faire des propositions aux Européens, notamment en termes de mobilité interafricaine, d’octroi de plus d’opportunités aux jeunes dans nos pays en Afrique, de gestion concertée des flux de migrants et de réfugiés, et de droits des migrants. Nous envisageons aussi développer des stratégies de communication à visée pédagogique pour encourager nos jeunes à rester et à se réaliser en Afrique puisque l’une des causes incontestables de la migration de nos jeunes vers l’Europe, ce sont les préjugés et les idées reçues sur l’Europe. Tout compte fait, nos experts sont en train de travailler sur ses propositions et nous en discuteront avec la partie européenne au moment venu.
Quel partenariat préconisez-vous en termes de paix et de sécurité ?
Les questions relatives à la paix et à la sécurité vont occuper une bonne place dans le nouvel accord de partenariat ACP-UE. Les questions de sécurité et de lutte contre l’extrémisme violent et le terrorisme seront discutées lors des négociations et les deux parties feront en sorte que le partenariat UE-UE soit un partenariat au service de la cause la paix et de la sécurité. Les deux parties savent bien que la paix et la sécurité font partie de la liste des « capabilités fonctionnelles de base » dont nos pays ont besoin pour travailler efficacement à leur développement et progrès économique.
Le type de partenariat en termes de paix et de sécurité qui serait le mieux adapté est celui qui est en phase avec le travail endogène des ACP au service de la paix et la sécurité. En Afrique, en particulier ce partenariat doit être en phase avec le travail des organisations régionales (CEDEAO, CEEAC, SADC, etc.) et de l’Union africaine dans le domaine de la paix et de la sécurité. Le partenariat ACP-UE doit participer à l’effort de guerre contre l’extrémisme violent et le terrorisme en Afrique et dans le monde.
L’Europe n’est-elle pas en train de se faire dépasser par des pays comme la Chine ?
La question ne pose pas en ces termes. Il faut plutôt prendre acte du fait que le monde a changé et prendre en compte cette évidence au plan des conduites à tenir. L’Europe doit travailler davantage à fidéliser ses partenaires ACP et africains. Le marché de la coopération en Afrique aujourd’hui est un marché de rudes concurrences. Tenir compte de cette évidence est un défi pour l’Union européenne.
L’Europe doit composer avec la présence chinoise en Afrique comme une réalité historique qui l’invite à faire évoluer qualitativement et considérablement son partenariat avec le Groupe ACP et surtout avec l’Afrique. L’Europe ne doit pas perdre de vue la volonté clairement exprimée par les pays africains et l’Union africaine de traiter avec elle dans un strict rapport d’égalité. En restant attentive à l’Afrique en qui ce concerne cette exigence, l’Europe, je crois, pourra conserver sa position dominante.
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