Les onze sages de la Cour suprême britannique se sont emparés lundi du débat enflammé sur le Brexit avec l'examen d'une question cruciale: le Parlement doit-il se prononcer sur le lancement du divorce d'avec l'Union européenne?
La plus haute juridiction du pays doit se pencher durant quatre jours sur la décision rendue début novembre de la Haute Cour de Londres. Celle-ci avait décrété que le gouvernement ne peut activer l'article 50 du Traité de Lisbonne - qui lancera les discussions de divorce d'avec l'UE - sans avoir consulté au préalable les députés.
Ce jugement, dont le gouvernement a fait appel, a provoqué la furie des défenseurs du Brexit, qui y voient une violation de la décision populaire.
Signe de la tension ambiante, le président de la Cour suprême, Lord David Neuberger, a ouvert les débats en appelant tout un chacun à ne pas jeter de l'huile sur le feu. "Menacer et insulter des individus parce qu'ils exercent leur droit fondamental d'aller en justice sape l'état de droit", a-t-il dénoncé.
Lord Neuberger a également rappelé avec fermeté que la justice n'avait pas vocation à prendre partie. La presse pro-Brexit s'était déchaînée contre les trois juges de la Haute Cour, qualifiés notamment par le Daily Mail d'"ennemis du peuple".
"En tant que juges, notre devoir est d'envisager ces questions de manière impartiale et d'y répondre en fonction de la loi. C'est ce que nous allons faire", a-t-il dit.
La décision de la Cour suprême est attendue début janvier. Elle est complexe, notamment parce que le pays n'a pas de Constitution écrite à laquelle se référer, laissant matière à interprétation.
La Première ministre conservatrice Theresa May, qui a promis d'activer l'article 50 d'ici la fin mars, argumente qu'elle dispose de l'autorité constitutionnelle concernant les Affaires étrangères, y compris le retrait des traités internationaux.
L'attorney general Jeremy Wright, qui défend la position du gouvernement, a fait valoir dans son argumentation écrite remise à la Cour que l'organisation "du référendum ayant été approuvée par un vote du parlement", un nouveau vote n'est pas nécessaire.
Cette affaire "soulève des questions ayant trait au coeur même de notre système constitutionnel", a-t-il dit en prenant la parole à l'ouverture de l'audience lundi. Il a expliqué que la prérogative, permettant au gouvernement de lancer sans consultation la procédure de divorce, avait été utilisée par le passé à plusieurs reprises.
Mais les auteurs des recours devant la Haute Cour, dont la gestionnaire de fonds Gina Miller et le coiffeur Deir Dos Santos, arguent que le Brexit va rendre caduques les lois européennes incorporées au droit britannique, nécessitant de ce fait que le pouvoir législatif se prononce.
Une possible consultation des parlements régionaux gallois, écossais et nord-irlandais, en plus de celui de Westminster, va également être étudiée et pourrait chambouler encore davantage le calendrier de Theresa May.
Le jugement de la Cour suprême pourrait aussi être plus complexe qu'un simple "oui" ou "non" au vote du Parlement, s'est inquiété le ministre du Brexit David Davis.
Une juge de la Cour suprême a en effet déclaré récemment que le Royaume-Uni pourrait avoir d'abord à "remplacer entièrement" l'Acte de 1972 qui a incorporé la législation européenne dans celle du Royaume-Uni avant de lancer son divorce d'avec l'UE.
Si le gouvernement se dit confiant sur ses chances de remporter son appel, le juriste Michael Zander estime, lui, qu'elles sont faibles, le jugement original ayant été "unanime et très solide".
"Selon moi, le gouvernement pourrait bien perdre onze à zéro" face aux juges de la Cour suprême, a-t-il écrit dans la revue juridique Counsel. En cas de défaite, le gouvernement devrait immédiatement soumettre au parlement un projet de loi très bref autorisant le déclenchement de l'Article 50.
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