La chute vertigineuse de la monnaie russe, à l'origine d'une flambée des prix, a tourné au krach historique lundi, braquant les projecteurs sur le Kremlin à trois jours d'une intervention très attendue de Vladimir Poutine.
Avec un plongeon de 9,5% sur la seule journée, le rouble a subi l'une de ses pires journées depuis la période suivant le défaut de la Russie en 1998.
"Le rouble échappe à tout contrôle", a résumé Chris Weafer, économiste du cabinet Macro Advisory. "Il est en chute libre, sur la seule base de la peur. (...) Les règles normales de l'économie ne s'appliquent pas et c'est ce qui rend la situation si dangereuse", a-t-il ajouté, interrogé par l'AFP.
"C'est un test considérable pour le gouvernement, ils n'ont pas d'autre choix que de trouver un moyen de mettre fin à cette chute et à restaurer la confiance", a-t-il prévenu.
La nouvelle dégringolade de la monnaie russe, affaiblie par les sanctions occidentales liées à la crise ukrainienne et la chute des cours du pétrole, signifie qu'elle a perdu depuis le début de l'année 42% de sa valeur face à l'euro et 49% face au dollar. La hausse des prix qui en résulte devrait atteindre 11,5% sur un an, selon la banque centrale.
Franchissant de nouveaux seuils historiques les uns après les autres, l'euro a grimpé à 78,87 roubles, contre seulement 72,28 roubles la veille, et le dollar à 64,34 roubles contre 58,18 roubles. Dans la foulée, l'indice RTS de la Bourse de Moscou a plongé de 10%.
La banque centrale est pourtant intervenue quasi quotidiennement depuis le début du mois pour soutenir le rouble, dépensant au total 5,9 mrd USD, sans succès.
Sa nouvelle politique introduite le mois dernier -intervenir par surprise lorsque la stabilité financière est menacée- était censée punir les spéculateurs en les prenant de court et limiter les sommes dépensées alors que les réserves de changes du pays ont été dilapidées sans résultat depuis un an.
La Banque de Russie a aussi augmenté son taux directeur à 10,5% jeudi, près du double de son niveau du début de l'année (5,5%) pour juguler le mouvement, au risque d'affecter une économie déjà au bord de la récession avec des crédits plus coûteux.
Lundi, elle a elle-même dressé un tableau cauchemardesque de l'année à venir pour la Russie lundi, avertissant que le produit intérieur brut du pays pourrait chuter de 4,5% à 4,8% si les prix du pétrole se maintenaient autour de 60 dollars le baril, leur niveau actuel.
"Si on entre dans une spirale où on a l'impression que tout va mal et que l'économie s'effondre, aucune action de la banque centrale ne stabilisera la situation", a jugé dans une tribune du quotidien des affaires Vedomosti Maxime Bouïev, professeur à la Faculté d'Economie de l'Université européenne de Saint-Pétersbourg.
"Le gouvernement doit proposer un plan clair de réformes", a-t-il ajouté.
La pression se renforce donc sur Vladimir Poutine qui donne jeudi sa grande conférence de presse annuelle. L'homme fort du Kremlin bénéficie d'une popularité record depuis l'annexion de la Crimée mais la population se montre de plus en plus pessimiste sur l'évolution de son niveau de vie.
La mairie de Moscou a ainsi haussé le ton lundi après avoir constaté que des magasins fixaient désormais leurs prix en devises, et averti que cette pratique serait sanctionnée par de lourdes amendes.
Pour soutenir l'économie, le président a annoncé un moratoire fiscal de deux ans pour les entreprises nouvellement créées et une amnistie pour les capitaux qui reviendraient en Russie, promettant que leur origine ne ferait l'objet d'aucune question.
Mais ces mesures ont été accueillies avec beaucoup de scepticisme et semblent désormais dérisoires au vu du marasme qui s'annonce.
Pour le cabinet Capital Economics, "la nouvelle forte chute du rouble (lundi) va alimenter les spéculations sur le fait que les autorités pourraient avoir recours à des mesures de moins en moins orthodoxes pour stabiliser la monnaie, y compris des contrôles de capitaux", mesure pour l'instant rejetée qui selon ces experts "ruinerait toute crédibilité de la Russie sur les marchés internationaux".
De son côté, le Premier ministre Dmitri Medvedev a appelé la semaine dernière les Russes à la patience, assurant que le rouble finirait par remonter comme lors des crises précédentes.
"Il est difficile de rester patient et espérer que le rebond observé (après la crise) de 2008 se répétera, car la situation a changé radicalement", a jugé lundi le journal Nezavissimaïa Gazeta, citant les sanctions occidentales.
Le chef du gouvernement semble davantage se préoccuper de maintenir la stabilité budgétaire du pays, menacée par la chute de près de moitié des prix du pétrole. Selon le journal Vedomosti, il a demandé aux ministères de réduire de 10% les dépenses budgétaires prévues l'an prochain.
"Une réduction de cette amplitude pourrait être difficile à atteindre sans des coupes dans les dépenses de défense et de sécurité ou une refonte du système de retraites, plus difficile politiquement", ont prévenu les analystes de la banque russe VTB Capital.
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