L'affaiblissement de l'euro, qui a perdu 24% de sa valeur par rapport au dollar en un an, suscite plus d'inquiétudes que d'espoirs en Allemagne, locomotive économique européenne viscéralement attachée à la force de la monnaie unique.
L'Allemagne, qui a bâti sa prospérité et une grande partie de sa fierté après-guerre sur le très solide deutsche mark, voit dans l'affaiblissement de l'euro, qui s'échangeait jeudi à 1,07 dollar, une conséquence des politiques de la Banque centrale européenne (BCE) pour relancer la croissance. Ce pays qui ne jure que par les réformes structurelles pour améliorer la compétitivité craint que les taux d'intérêt quasi-nuls et les injections de liquidités massives de la BCE soient au mieux inutiles, au pire néfastes pour la stabilité financière mondiale.
"Les banquiers de la BCE sont-ils en train de casser notre monnaie?", s'interrogeait Bild, le quotidien le plus lu du pays, dès l'annonce fin janvier des rachats de dette pour plus de 1000 milliards d'euros -version moderne de la planche à billets- qui a accéléré la glissade de l'euro.
A priori, la chute a pour conséquence une baisse des prix à l'exportation des produits des 19 pays de la zone euro -dont l'Allemagne-, avec un surcroît attendu de production et d'emplois. Pourtant, en Allemagne, même les firmes exportatrices ne se réjouissent pas.
"Un euro faible est seulement à première vue une bonne nouvelle pour une nation exportatrice comme l'Allemagne", soulignait le 10 mars Anton Börner, président de la Fédération des exportateurs (BGA) en présentant ses perspectives pour 2015. "L'Allemagne est aussi l'un des plus gros importateurs au monde", faisait-il valoir, et "sans les prix bas (actuels) des matières premières l'euro faible se ferait lourdement sentir sur notre facture d'importations".
L'argument d'une impulsion de court terme à la conjoncture du fait d'une monnaie affaiblie "n'a pas beaucoup de poids en Allemagne où la conjoncture est déjà très robuste. Sur le marché du travail, il y a déjà des problèmes pour pourvoir les postes", note Klaus-Jürgen Gern, de l'institut économique IfW à Kiel.
L'Allemagne, qui enregistre des excédents commerciaux record et est déjà sous pression de la communauté internationale pour réduire ses déséquilibres, n'a "pas besoin" d'un euro faible, explique-t-il. Avec sa modération salariale et une spécialisation sur des produits peu sensibles aux variations de prix -voitures haut de gamme et machines-outils sophistiquées- le pays est armé pour vivre avec une monnaie forte.
Par ailleurs, la population allemande, très sensible à l'inflation, voit d'un mauvais oeil une baisse de sa monnaie dont la conséquence directe est une hausse des prix de l'essence, et plus généralement des produits importés souvent libellés en dollars.
"S'il n'y a pas encore beaucoup de discussions" sur la baisse de l'euro, "c'est parce que les cours du pétrole ont chuté en parallèle, (...) dès qu'ils monteront de nouveau on entendra sûrement que la faiblesse de l'euro n'est pas bonne pour l'Allemagne", estime M. Gern. "Les experts diront que c'est quelque chose qu'il faut supporter car nous sommes dans une union monétaire", ajoute-t-il.
La crainte allemande, c'est aussi que le coup de pouce conjoncturel se mue en alibi des pays européens en crise pour ne pas réaliser les réformes chères à Berlin.
Interrogé sur la chute de l'euro, le ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble a souligné le 12 mars que c'était "le défi" de la BCE de faire face aux situations nationales divergentes des pays membres. "Le président de la BCE ne cesse d'appeler les gouvernements à mettre en oeuvre des réformes structurelles, un renforcement de la compétitivité pour une croissance durable et surtout une politique budgétaire solide", autant d'exigences qui "ne peuvent être remplacées par la politique monétaire de la BCE", a-t-il prévenu.
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