En bloquant l’accès de Huawei à la technologie américaine, Donald Trump a visé le talon d’Achille du géant chinois des smartphones, dont la survie même pourrait être menacée, selon des experts.
S’il est le leader mondial des équipements de téléphonie mobile et numéro deux des smartphones, Huawei a un point faible: sa dépendance envers la technologie américaine, particulièrement pour les puces électroniques dont il équipe notamment ses téléphones.
Au nom de la sécurité nationale, l’administration Trump a interdit la semaine dernière aux entreprises américaines de vendre des équipements de pointe à Huawei, soupçonné d’espionnage au profit de Pékin.
Le coup est rude pour les groupes américains qui comptaient Huawei parmi leurs gros clients, mais il pourrait être fatal au géant de Shenzhen (sud).
« Le pire serait à terme une coupure totale de l’accès à la technologie américaine », analyse le cabinet de consultants Eurasia Group. Huawei « n’y survivrait probablement pas dans sa forme actuelle ».
Conséquence immédiate de la décision de Washington: Google a annoncé dimanche qu’il allait devoir couper les ponts avec Huawei, alors que le groupe chinois dépend du géant américain de l’internet pour le système Android, qui équipe l’immense majorité des smartphones dans le monde.
Sans Android, Huawei risque de peiner à convaincre ses clients d’acheter ses téléphones portables, dépourvus des applications Gmail (courriel), Maps (cartographie) ou YouTube (plateforme de vidéos), pour ne citer que les plus connues.
« Il s’agit d’un revers considérable pour la division smartphones de Huawei », observe le professeur Ryan Whalen, du Centre de droit et de technologie de l’Université de Hong Kong.
Huawei assure préparer son propre système d’exploitation, mais l’actuel duopole formé par Android et iOS, le système concurrent d’Apple, semble impossible à détrôner, comme le montrent les échecs de Nokia, Blackberry et Microsoft en la matière.
Fort de ses équipements de réseaux, Huawei se présente comme le leader incontesté de la 5G, la cinquième génération de téléphonie mobile qui permettra un accès ultra-rapide à l’internet, notamment à l’internet des objets.
Mais, là-aussi, Huawei est vulnérable: il achète chaque année de l’ordre de 67 milliards de dollars d’équipements, dont 11 milliards auprès de fournisseurs américains.
D’après Eurasia, les grands producteurs de puces que sont Qualcomm, Qorvo et Texas Instruments ont d’ores et déjà suspendu leurs livraisons à Huawei en attendant que la poussière retombe, de même que les éditeurs de logiciels Oracle et Microsoft.
Cela risque de « totalement compromettre » les ambitions de Huawei dans la 5G, avertit le cabinet de consultants.
Le fondateur de Huawei, Ren Zhengfei, ancien ingénieur de l’armée chinoise, balaie ces craintes en assurant que le groupe dispose de réserves de puces et peut en produire lui-même.
Mais les experts du secteur n’y croient pas.
Huawei « ne peut pas emmagasiner des logiciels et il n’y a aucune chance que l’entreprise survive durablement (…) sans accès à la chaîne d’approvisionnement mondiale », souligne Eurasia.
Huawei a bien créé sa propre filiale de production de puces électroniques, HiSilicon, mais cette dernière est également visée par les sanctions américaines.
Le groupe chinois, privé mais non coté, peut compter sur le soutien du régime communiste. Mais sa survie dépendra largement des intentions véritables du président américain, qui pourrait se contenter de l’utiliser comme un pion dans sa guerre commerciale contre Pékin.
Pour résister aux assauts de Washington, Huawei mise sur le soutien des Européens, que l’administration Trump tente d’éloigner du groupe chinois.
L’un des objectifs de la mise au ban technologique de Huawei est de forcer les Européens à abandonner le groupe pour l’installation de la 5G, selon Eurasia. Huawei a de gros contrats avec des opérateurs européens, pour lesquels changer d’équipementier serait coûteux compte tenu des tarifs très compétitifs du chinois.
Plusieurs pays, comme l’Allemagne, la France et les Pays-Bas résistent jusqu’à présent à l’offensive américaine.
Mais en cas de pression accrue de la part de Washington, « il sera très difficile pour l’UE de continuer à travailler avec Huawei », avertit Guntram Wolff, directeur du centre de réflexion bruxellois Bruegel.