Accueilli par des milliers de Birmans en tenue traditionnelle, le pape François est arrivé lundi à Rangoun pour une visite inédite qui s'annonce délicate, dans un pays bouddhiste accusé d'"épuration ethnique" contre la minorité musulmane des Rohingyas.
Drapeaux birman et du Vatican ou chapelet à la main... de nombreux catholiques, venus des quatre coins de la Birmanie, avaient fait le déplacement pour apercevoir le souverain pontife.
"J'ai vu le pape. Je suis tellement heureuse que j'en ai pleuré", s'enflamme Christina Aye Aye Sein, employée de banque catholique, juste après le passage du convoi. "Il a l'air si agréable et doux. Il vient pour la paix", ajoute-t-elle, arborant un T-shirt avec la photo du pape et une phrase: "Paix et amour".
La visite du souverain pontife, âgé de 80 ans, arrive en effet à un moment crucial pour le pays, qui connaît de fortes tensions interreligieuses et se retrouve sous pression internationale depuis trois mois et le regain de violences dans l'ouest du pays.
Environ 620.000 musulmans rohingyas ont fui depuis fin août leurs villages de l'Etat Rakhine pour échapper à une campagne de répression de l'armée, qualifiée d'"épuration ethnique" par les Nations unies.
"Je vous demande de m'accompagner par la prière, afin que ma présence soit pour ces populations un signe de proximité et d'espérance", a lancé le pape dimanche aux 30.000 fidèles réunis place Saint-Pierre pour la prière de l'angélus.
Le pape sait que ses déclarations concernant le sort de la minorité seront scrutées à la loupe. D'autant plus qu'il se rendra jeudi au Bangladesh où il doit rencontrer des Rohingyas.
Le pape n'a pas hésité à dénoncer à plusieurs reprises ces derniers mois le traitement réservé à ceux qu'il appelle ses "frères rohingyas", au risque de froisser la majorité bouddhiste de Birmanie.
L'opinion publique birmane, portée par un nationalisme bouddhiste et largement antimusulmane, est chauffée à blanc par les remises en cause de la communauté internationale sur la façon dont le gouvernement gère ce conflit.
Le pape doit rencontrer les principaux acteurs de la crise en Birmanie: il s'entretiendra notamment avec le chef de l'armée, Min Aung Hlaing. Accusé par les organisations de défense des droits de l'Homme d'être le principal responsable de la campagne de répression, il est l'un des hommes les plus puissants du pays.
La semaine dernière, la Birmanie et le Bangladesh ont annoncé un accord sur un retour des réfugiés rohingyas, mais le chef de l'armée birmane, qui est à la manœuvre sur le terrain, s'est déjà dit opposé à leur retour en masse.
Le pape François rencontrera également la dirigeante birmane et prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi, dont l'aura internationale a été fortement ternie par son manque d'empathie affiché pour les Rohingyas.
Les quelque 700.000 catholiques de Birmanie - un peu plus de 1% des 51 millions d'habitants du pays -, qui ont longtemps été discriminés par la junte birmane espèrent beaucoup de cette visite.
"Les gens sont venus des quatre coins du pays, même pour le voir seulement quelques minutes", s'enthousiasme sœur Genevieve Mu, qui a fait le déplacement depuis l'Etat Karen (est).
"Je suis heureuse et fière du peuple catholique et de notre gouvernement qui a permis cette visite", ajoute-t-elle.
Mais ce voyage donne également de l'espoir aux réfugiés rohingyas, qui ont raconté depuis le Bangladesh les exactions de l'armée birmane - viols, meurtres, torture.
Nur Mohammad, imam de 45 ans dans un camp de réfugiés à Cox's Bazar au Bangladesh, espère que le pape demandera le retour des Rohingyas, avec "la citoyenneté et la fin de toutes les discriminations".
Avant la flambée de violences en août, environ un million de musulmans rohingyas vivaient en Birmanie, depuis des générations pour certains. Mais depuis la loi de 1982, ils sont privés de la nationalité birmane et constituent la plus grande population apatride au monde.
Ils sont victimes de multiples discriminations - travail forcé, extorsion, restrictions à la liberté de mouvement, règles de mariage injustes et confiscation des terres.
Mais les marges de manœuvre du pape sont étroites car "la grande majorité des gens en Birmanie ne croient pas au récit international des abus contre les Rohingyas et à un exode en grand nombre de réfugiés au Bangladesh", explique Richard Horsey, analyste indépendant basé en Birmanie.
Selon lui, "si le pape venait à évoquer de façon appuyée le sujet, cela attiserait les tensions", ce que redoutent la minorité catholique.
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